Pascale Favre installations

Laisse béton

À Meyrin, avec les autres enfants de l’immeuble où j’habitais, on jouait à la chasse à l’homme dans les caves et les abris parce que c’était glauque et que ça nous fichait la trouille.

Je me suis longtemps demandée qui seraient les 300 VIP de Suisse sauvegardés dans le bunker fédéral K20 en cas d’attaque, et si on les aurait obligés à se reproduire entre eux pendant l’hiver nucléaire. Bien qu’à l’époque où j’y pensais, les conseillers fédéraux et presque tous les parlementaires étaient des hommes.

Une amie française a découvert l’existence des abris suisses dans le film Les Faiseurs de Suisses que je lui avais prêté. Elle a longtemps pensé que c’était du cinéma.

À vrai dire, je ne comprends pas pourquoi on utilise toujours l’expression « La Suisse est un vrai gruyère » puisque le gruyère n’a plus de trous.

Lorsque je regarde un paysage de montagnes en Suisse, je ne peux m’empêcher de chercher l’entrée des réduits nationaux. Plutôt que de les détruire, on les a recyclés version après-guerre froide : hôtel de luxe, hôtel minable, protection pour les données irremplaçables, banque d’ADN pour particuliers souhaitant rester immortels…

Enfant, j’avais toujours peur que la porte blindée des sous-sols se referme toute seule et que je reste coincée à l’intérieur. J’angoissais aussi lorsque nous ouvrions la porte de notre cave. Où allions-nous mettre tout ce fourbi en cas d’attaque nucléaire ?

Aucune de mes connaissances ne possède un abri opérationnel. Certains en font une galerie d’art, d’autres une salle de jeux, un laboratoire photo, un carnotzet, une chambre d’enfant. Dans la sphère privée, il reste surtout un espace de stockage privilégié pour les petits vins, les grands crus et les confitures maison.

Il est interdit d’utiliser un abri comme une pièce dite habitable pour des raisons sanitaires. Pourtant, en cas d’explosion nucléaire, il faudrait y vivre au minimum six mois avant d’en ressortir.

Un abri peut servir de dortoir pour requérants déboutés.

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