Comment offrir un accès à son travail pour toutes les personnes qui parcourent cette promenade ? C’est en me posant ces questions que l’importance de la couleur chez Bouvier m’est revenue. Ses descriptions en fourmillent. A travers la couleur, Bouvier nous touche directement, qu’il s’agisse de décrire des paysages, des personnes, des architectures, des objets, des images. C’est aussi à travers la couleur qu’il transmet ses émotions. D’avoir voyagé de Belgrade à Kaboul avec son ami peintre Thierry Vernet a développé cette manière de voir le monde qu’il explique si bien dans Routes et déroutes * : « C’est comme si j’avais traversé la France à pied avec Van Gogh. Il me rendait sans cesse attentif à des choses pour lesquelles je n’aurais peut-être pas trouvé les mots. Il y a eu une mise en forme du plaisir visuel, une sorte de training, comme si j’avais été avec un entraineur sportif pour la couleur. Et ensuite, ça m’est resté ».

De mon point de vue, la polychromie qui marque l’oeuvre de Nicolas Bouvier est comme un répertoire poétique. Si les couleurs qui reviennent le plus chez lui sont plutôt communes (noir-blanc-vert-rouge- bleu- brun- violet- gris- rose), il en affectionne beaucoup d’autres et certaines semblent sortir de son imagination comme par exemple la couleur de biscôme, celle de tabac chiqué, ou encore la couleur d’ossement. Mais c’est aussi à travers la couleur que Bouvier souligne les changements d’ambiances et de lieux. L’Usage du monde - où il voyage dans les Balkans, en Grèce, en Turquie, en Iran - s’affirme comme une incroyable déclinaison de bleus. L’ouverture à un monde polychrome m’est apparue comme un lien manifeste entre ce lieu à Lancy et l’oeuvre de Bouvier. Prendre la couleur comme composant principal de sa planche de travail c’est aussi offrir un accès à tout un chacun de par son universalité. Selon mes critères, j’ai dénombré l’usage de 174 couleurs différentes en relevant les phrases ou les syntagmes dont elles sont issues. L’omniprésence de la couleur chez Bouvier est bien réélle, c’est ce qu’il voit parmi tant d’autres choses et qu’il nous transmet.

L’installation sur l’escalier monumental qui mène à la promenade Nicolas Bouvier depuis Lancy Pont-Rouge se compose de 48 plaques en métal thermolaquées et collées contre certaines contremarches. Au sommet de l’escalier une liste imprimée sur acier brossé fait voir toutes les couleurs trouvées dans l’œuvre et s’accompagne d’un QR code d'un site où 174 carrés de couleurs découvrent une citation choisie dans l’œuvre de Nicolas Bouvier.  

* Œuvres, Editions Gallimard, 2004, collection Quarto 

https://48-174.pascalefavre.ch